CARTE POSTALE Un entrepôt de fromage du Cantal

Une « carte postale animée » est un document qui vit, qui reflète fidèlement un passé aujourd'hui révolu.

Remerciements à Daniel CHARBONNEL qui , à travers ses commentaires, nous fait revivre de précieux moments ancrés dans notre mémoire.

Cette carte postale ancienne est bien connue des collectionneurs auvergnats... Elle est intitulée « un entrepôt de fromages du Cantal.

La carte porte en bas à gauche un monogramme en forme de triangle formé de la lettre B en majuscule accompagnée des lettres S et C en minuscule. Cet emblème fait référence à l’éditeur de la carte : le libraire Baudel de Saint-Céré dans le Lot.
Cette carte n’est pas numérotée et fait partie d’une collection intitulée «L’Auvergne».
On peut voir la plaque de verre du cliché original en ligne sur le site Internet des Archives départementales du Cantal (64 Fi 103).

La scène est dominée en arrière plan par un vaste entrepôt dont l’entrée est protégée par un appentis soutenu par de solides piliers en pierre de taille. Sous cet auvent ont été déposées à même le sol sur ce qui semble être du foin séché des fourmes de Cantal. Elles sont regroupées peut-être selon leur poids et/ou leur degré d’affinage. Tout autour des hommes s’activent.

On remarque rapidement au centre de l’image un personnage qui se détache par son vêtement bourgeois qui tranche par rapport aux autres hommes à l’allure paysanne qui portent la blouse traditionnelle et un chapeau à large bord.

L’œil est aussi attiré par la présence sur la droite d’un attelage de vaches dressées de race Salers. Elles sont conduites par un jeune bouvier qui semble détourner son regard de la scène pour répondre à une interpellation.

En arrière plan sous l'auvent qui protège les fromages, on remarque la balance sur  laquelle l’une des pièces est pesée par un homme.

La disposition des personnages traduit le sens de la scène. Pendant que les uns restent en retrait et observent, les autres tournent autour des pièces de fromages rassemblées à leurs pieds. Sans doute faut-il y voir d’un coté les paysans venus livrés leurs pièces fabriquées dans les burons et de l’autre les négociants qui jaugent et estiment la valeur des fourmes pour leur revente. L’attelage est sans doute celui d’un paysan venu à la ville livrer ses pièces.

Pour localiser la scène, nous disposons d’une indication importante.
Sur la droite en façade le nom du négociant s’affiche sur une grande lucarne de toit en bâtière à l’ouverture condamnée. On peut lire : « Frédéric Bonnafé ». C'est le nom bien connu d'un important négociant en gros de la ville d’Aurillac qui dispose vers 1900 d’un entrepôt de fromages situé au numéro 19 rue des Carmes (le bâtiment n'existe plus aujourd'hui).

Dans un article du 12 octobre 1903, le quotidien national « Le Journal » présente ce négociant aurillacois :
« M. Frédéric Bonnafé, négociant en fromages à Aurillac, propriétaire d’une fromagerie modèle à Carlat, a obtenu au Concours agricole de 1901, à Paris, la première médaille d’or pour les fromages du Cantal, et le premier prix d’honneur contre tous les fromages à pâte sèche, parmi lesquels le gruyère. […]
M. Frédéric Bonnafé est un jeune homme blond aux yeux clairs. Très élégant, d’une rare distinction de manières, amateur de littérature et d’arts, cavalier et chasseur intrépide, cela ne l’empêche pas d’être un commerçant assidu continuant au mieux de ces intérêts les traditions de la maison Bruel, fondée en 1813"

Pour l’occasion Frédéric Bonnafé signe un long et intéressant article sur la production des fourmes du Cantal. L'article en question est agrémenté d’une belle gravure qui s'inspire directement du cliché original du Libraire Baudel (on peut donc dire que la photo remonte au moins à l'année 1903...).

Cette gravure de presse s'inspire directement de la photographie originale du fonds Baudel de Saint-Céré.

Je laisse à la lecture des visiteurs la conclusion de son article dans laquelle Frédéric Bonnafé se livre à un éloge de l’action des négociants en gros d’Aurillac dans la promotion des fourmes des montagnes du Cantal (l’ensemble de cet article est consultable sur le site Internet de la Bnf : Gallica).

Cette carte postale et l'article traduisent cette mainmise des négociants fromagers en gros sur le marché des fourmes du Cantal comme le montre Ane Line Brosse à qui j'emprunte ces éléments de conclusion dans son très beau livre : "Fromages d'Auvergne, une histoire d'hommes et de femmes" (éditions Quelque part sur Terre, 2014).

Cette carte postale et l'article de presse sont une illustration de la la stratégie commerciale qu'ils développent afin de promouvoir la vente de leurs produits à l'échelle nationale et vers la clientèle urbaine.

En affichant son entrepôt sur une carte postale ou une gravure de presse comme un "établissement modèle", Frédéric Bonnafé cherche à montrer la salubrité de ses locaux commerciaux. Il espère faire naître la confiance chez ses acheteurs.
Il montre aussi la bonne réputation et le savoir faire de son négoce (l'expérience dans la sélection des meilleurs fromages).
Il cherche aussi à l'inscrire dans une longue tradition et une lignée de commerçants en fromages. Ainsi espère-t-il gagner la confiance... et donc la fidélité... de sa clientèle en affichant également la reconnaissance de la qualité de ses produits certifiée par les médailles remportées lors des concours nationaux.

Facture du 29 mars 1907 du négociant en gros, Frédéric Bonnafé d'Aurillac.

On voit notamment que l'entête affiche sa réussite par la mention des médailles qui ont couronné ses produits aux différents concours agricoles de Paris.
 

Il affiche également la réputation de son établissement fondé en 1820 qui s'inscrit dans une longue lignée de fromagers aurillacois.

Daniel CHARBONNEL