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le Cantal au fil du temps

le Cantal au fil du temps

Généalogie et histoire locale


Souvenirs d’enfance de Gilles DEKETELEARE - la ferme de Besse à Saint Martial

Publié par Françoise PICOT sur 22 Avril 2022, 09:44am

Catégories : #Histoire locale - Tranches de vie

La ferme de Besse à Saint Martial

La ferme était principalement constituée de deux bâtiments : le plus grand était la grange pour le foin, avec au dessous, l’étable. Une trappe permettait de faire descendre l’herbe au nez des vaches.

En face, se trouvait l’habitation avec une grande salle en rez-de-chaussée comportant une immense cheminée qui couvrait tout un mur et dans laquelle étaient placées deux chaises, une de chaque côté du foyer qui brûlait nuit et jour, 365 jours par an. Perpendiculairement, se situait une alcôve fermée par des rideaux. En face, près de la porte d’entrée, à côté de l’unique petite fenêtre, un évier de granit (comme le reste de la maison), avec écoulement à l’extérieur, dans la cour. Il était sans robinets : l’eau était apportée de la source voisine à bout de bras dans des seaux ou des brocs. L’eau chaude n’apparaissait que le dimanche pour la toilette hebdomadaire et le rasage des hommes.

 Au milieu de la pièce, une longue table en bois brut bordée de bancs permettait d’accueillir, outre la famille, tous les journaliers présents lors des ‘’batteuses’’.
À l’étage la chambre qui m’était réservée ainsi qu’à ma grand-mère ; le chauffage en était assuré par le conduit de la cheminée, les lits étant accolés au mur de celle-ci. Le grenier de la maison servait de réserve de grain.

 D’autres bâtiments constituaient la ferme : une petite porcherie, juste pour élever les cochons de la consommation domestique ; un poulailler, qui contenait, en fait, principalement des pintades appelées ici des ‘’piottes’’. Plus loin, la scierie de l’oncle ; un bien grand mot pour désigner l’abri de la scie circulaire entrainée de l’extérieur par une machine à vapeur, puis plus tard, par un -déjà vieux à l’époque- tracteur ‘’Société Française Vierzon’’ à roues métalliques. La transmission s’effectuant par des courroies. Son démarrage était exotique : on chauffait l’unique cylindre horizontal avec une lampe à souder, puis on tournait la manivelle. Parfois, le miracle s’accomplissait du premier coup : le moteur démarrait…

 Vers quatre heures et demi, nous allions chercher les vaches à l’herbe dans une ‘’devèze’’, un pré en forte pente, fermé de haies, souvent parcouru de minuscules ruisseaux. Un ordre au chien et celui-ci avait tôt fait de ramener ces dames vers la sortie. Passage à l’abreuvoir alimenté par l’unique source du hameau, puis retour à l’étable. Chaque vache connaissait son emplacement et se laissait attacher sans regimber.

 Avant la traite, nous allions dîner. Ce repas était un vrai grand repas pris vers 18h.30. Les chiens courraient sous la table quémandant des miettes de pain ou des croûtes de fromage. Parfois, lorsque l’on avait mal fermé la petite barrière qui servait de porte dans la journée, les poules et les piottes envahissaient la cuisine. Alors l’oncle se levait avec de grands gestes de casquette hurlait ‘’Afora-tu’’. Devant cet orage soudain, tous les animaux se précipitaient vers la porte et nous étions tranquilles… pour au moins dix minutes.

 Le dîner terminé, je rejoignais ma copine la parisienne, la petite fille des Bousquet, l’autre famille du hameau. Jolie gamine aux immenses yeux bleus entourés d’anglaises blondes. Notre grand jeu était de monter sur le pilastre de chacun des côtés du portail et de sauter, en même temps, sur l’arrêtoir du centre… Bien sur, cette modeste pierre n’avait pas la surface suffisante pour recevoir deux enfants et chaque essai se traduisait par une dégringolade dans de grands éclats de rire. L’heure de la traite du soir arrivait et nous rejoignions les étables de nos familles respectives.

Quand l’oncle entrait dans l’étable avec une corne pleine de gros sel, la folie s’emparait des lieux : ces dames tiraient sur leurs chaînes, les yeux hors de la tête et dérapaient sur la paille en meuglant. Les vaches sont folles du sel destiné simplement à ‘’faire monter le lait’’ et faciliter la traite. Si la tante traînait avec elle son tabouret à traire à trois pieds, l’oncle avait lui un ‘’botte-cul’’ attaché aux fesses : c’était un gros avantage que d’avoir ce siège mono-pied, il laissait les deux mains de libres pour porter autre chose.

Avec Antonin, même la traite ne pouvait se faire sérieusement et c’était un échange continu de jets de lait sur l’un ou l’autre. Chiens et chats adoraient ce moment et ils étaient capables de boire ‘’à la régalade’’ le jet qui leur était projeté.

 Vers 10-11 heures avait lieu le souper qui, comme son nom l’indique, consistait essentiellement en une soupe de légumes trempée avec du pain. Fourbu, chacun regagnait sa couche : on se lèverait tôt le lendemain, les vaches seraient traites vers cinq heures.

 Chaque jour, chaque famille nous indiquait le pré où nous devions conduire notre troupeau mais, pour nous, la hauteur d’herbe dans le pré était le cadet de nos soucis. Aurélie et moi nous arrangions toujours pour trouver des herbages pas trop éloignés l'un de l’autre afin de pouvoir jouer ensemble pendant que nos chiens gardaient les bêtes. Pour lui faire plaisir, je lui sculptais des bâtons, lui fabriquais des pipeaux (avec la méthode Antonin)… L’abondance de noisetiers me fournissait une matière première facile à travailler : quelques entailles, quelques coups avec le dos du couteau et l’écorce coulissait sur le bois permettant ainsi de tailler l’intérieur de la flûte ou du sifflet. Il suffisait ensuite de ramener l’écorce sur le bois et l’instrument était prêt à produite sa musique aigrelette.

Pastre, lou pra faï flour L'y cal gordà toun troupel
(Pâtre, l'herbe est en fleur. Viens y garder ton troupeau).

À midi, nous mettions en commun le contenu de nos musettes : saucisson, jambon, fourme ou bleu d’Auvergne et toujours quelques œufs durs. Les ruisseaux nous fournissaient l’eau pour étancher notre soif. Comme nous ‘’étions de va ville’’, nous disposions d’un objet d’une modernité folle pour l’époque : un gobelet télescopique en plastique dont les anneaux  avaient tendance à se replier quand il était plein. Très vite, nous en revînmes à des méthodes plus naturelles : boire dans nos mains ou le bec dans l’eau.

 In un frais boucage, très joulie tandron…
(Un très joli tendron dans un frais bocage)

Ainsi se passaient nos journées à jouer, à nous raconter des histoires, à nous découvrir. ‘’Garder’’ les vaches était gage d’instants merveilleux, à l’abri du regard des adultes, libres comme l’air de jouer, de crier, de nous croire au pays d’Alice, de l’autre côté du miroir. C’était une liberté totale, inimaginable aujourd’hui.

 C’est grâce à cette vie au naturel que j’ai appris que les filles avaient une fente de tirelire pour faire pipi et qu’Aurélie apprit que les garçons disposaient d’un sifflet à roulettes destiné au même usage. Nous en avions conclu que c’était là la différence qui faisait que les filles portaient des jupes et les garçons des culottes.

 Pas besoin de montre : vers quatre heures et demi, les vaches se rapprochaient d’elles-mêmes de la barrière du pré et, si cela n’allait pas assez vite, le chien se chargeait de leur rappeler l’heure en courant derrière les égarées en jappant. ‘’Picou-lou, aresta-lou’’, les ordres aux chiens étaient inutiles : ils connaissaient leur boulot bien mieux que nous. Quant au patois -un mélange de langue d’Oc et d’Auvergnat- Ni Aurélie ni moi ne le parlions spontanément mais, à la ferme, c’est exclusivement dans cette langue que l’on s’adressait à nous et je n’ai pas le souvenir de difficultés à comprendre.

Si l’électricité était arrivée récemment, l’eau n’était toujours pas courante.

Le dimanche, il y avait la messe. En soit, rien de plus normal pour l’époque mais cela impliquait de « s’habiller », c'est-à-dire, mettre la ‘’tenue du dimanche’’. Pour mettre la ‘’tenue du dimanche’’, il fallait se laver et se raser. Pour tous les jours, un coup d’eau sur le museau et se laver les mains suffisait mais, le dimanche, c’était le grand lavage, ce qui était l’équivalent de notre douche moderne… mais sans douche !!! On installait un grand baquet au milieu de la cuisine et on faisait chauffer de l’eau dans l’âtre et l’on se douchait avec un broc. Il y avait la douche des hommes, celle des femmes et celle des enfants. Toute autre catégorie que celle dans le baquet était, bien sur, interdite de séjour. À noter que les femmes portaient toutes des cheveux longs qu’elles embobinaient en chignon sur le haut de leur tête. Pratique de laver ces crinières au savon de Marseille et de les rincer !!!

Il n’y avait pas d’église dans notre hameau de quatre fermes, pour l’office, nous devions aller au bourg : Saint Martial. Nous prenions un sentier pour descendre au fond de la ravine et remonter sur la montagne en face pour atteindre le village. Ce sentier au milieu des devèzes était plutôt boueux, aussi, pour éviter d’arriver à la messe tout crottés, nous faisions le chemin avec nos sabots aux pieds et nous ne mettions nos chaussures qu’à l’orée du village. Village, un bien grand mot pour les quelques fermes et maisons ; pas d’autre commerce qu’un bistrot où se réunissaient les hommes pendant que les femmes assistaient à la messe.

Saint Martial était un village martyr : à la fin de la guerre, quand les allemands remontaient d’urgence vers le nord, un bataillon surgit un dimanche matin, regroupa les habitants dans l’église et les passât au lance-flamme… Ma famille fut épargnée : mauvais chrétiens, au lieu d’être à la messe, ils étaient aux champs à ramasser l’herbe avant un orage à venir. Ce n’est pas ce fait-divers dramatique qui les rapprocha de la religion.

 Au mois d’août, mes parents arrivaient. Eux n’avaient pas droit au char à bœufs, ils montaient de Chaudes-Aigues à pied, en coupant par le ‘’Bois de pins’’. Ma mère, en bourgeoise parisienne, abhorrait ces séjours montagnards chez ces sauvages qui ne parlaient même pas le français et qui vivaient dans un inconfort total : les toilettes étaient situées… là où l’on voulait, dans la nature.  Bref, une annexe du royaume d’Hadès en Auvergne, l’enfer sur terre.

 Mon père, lui, avait trouvé ses marques dès qu’il avait mis un pied dans le chemin conduisant au hameau. Il retrouvait sa langue natale et ne s’apercevait même pas de l’isolement dans lequel ce patois tenait ma mère. Lui était indifférent aux vaches, sa passion, c’était de faire les foins ou les blés à la faux. Pendant que la faucheuse-lieuse tirée par les bœuf coupait de grandes bandes d’herbe ou d’épis, lui faisait tous les endroits où la machine ne pouvait aller et ils étaient nombreux ! Le geste régulier du faucheur l’amenait dans une sorte de transe où il oubliait la vie, le travail quotidien et Paris qu’il détestait. Bref, faucher était son grand plaisir, son élixir de jeunesse, ou du moins, de retour à l’insouciance de l’enfance. Il était partout : derrière la faux, à charger la charrette avec la grande fourche en bois (fourca) ou à construire les meules (bârges). À l’image de toute cette famille, il était lui-même un colosse et pouvait charger le foin du matin au soir avec le plus grand plaisir et sans ressentir la moindre fatigue.

 Les ‘’batteuses’’

 

 

Les ‘’batteuses’’. Ce mot recouvrait un ensemble de cérémonies qui rythmaient la vie des paysans. Cérémonies, c’est bien le mot, tellement l’ordonnancement de ce moment se rapprochait des processions religieuses.

 

 

Tout commençait la veille avec l’arrivée de la batteuse proprement dite et de sa locomobile. 
Le chemin d’accès au hameau étant en pente, deux paires de bœufs suffisaient à peine pour chaque engin. Une paire supplémentaire était indispensable dans l’autre sens. Une pierre sur le chemin suffisait à arrêter le convoi, c’est pourquoi les hommes suivaient armés de barres à mines pour faire sauter les obstacles. Chose curieuse, chaque année, de nouvelles pierres apparaissaient pour arrêter les machines. L’œuvre du Diable, sans aucun doute (
faire un signe de croix quand on évoque Le Malin). L’avance se faisait mètre par mètre. Une après-midi entière était nécessaire pour franchir les 800 mètres tortueux entre le goudron de la route et le pré au dessus de la ferme des Bousquet, à l’autre bout du hameau, là où aurait lieu le rituel (le sacrifice ?).

 La batteuse et la locomobile étaient installées à trois-quatre mètres l’une de l’autre, puis reliées par des courroies. Des troncs entiers de sapin entraient dans la chaudière que l’on ouvrait par le nez avant qu’elle ne fut allumée.

 La machine à vapeur devait être chargée dès trois heures du matin ; quand j’arrivais, sur les coups de 5 heures, toute la famille et les amis des environs étaient déjà mobilisés et la loco tournait au ralenti, lâchant de grosses volutes d’une âcre fumée qui sentait fort le pin. Deux boules de laiton tournaient pour réguler la pression de la vapeur. L’engin semblait capricieux : pas assez de pression et la machine n’avait pas la force d’entraîner la batteuse, trop de pression et elle risquait d’exploser. Quand on sait cela, on comprend mieux pourquoi les deux boules dorées étaient surveillées comme le lait sur le feu. Vers six heures, les femmes apportaient le premier casse-croute d’une journée qui s’annonçait fort longue.

 Deux hommes en poste sur les chars pour jeter les gerbes au sol où elles étaient reprises par deux autres pour les envoyer, d’un coup de fourche, sur le haut de la batteuse où deux gars ouvraient les liens de chaque botte pour placer les épis dans la gorge prévue à cet effet. Il fallait aussi compter ceux qui plaçaient les sacs de toile destinés à recevoir le grain au cul de la machine. Le son, quant à lui, était projeté à jet continu sur le sol où il était lui aussi mis à la pelle dans de grands sacs en toile de jute.

 La noria des charrettes ne cessait qu’à la nuit tombée, la loco crachait sans cesse sa vapeur pour donner l’énergie nécessaire au monstre qui avalait les gerbes en continu. À peine une pose de midi pour alimenter hommes et machines. C’était toute une industrie qui était mise en place pour une journée au fin-fond de l’Auvergne, dans un trou perdu dont personne n’avait entendu parler.

 La nuit venue, le travail cessait et pendant que la loco refroidissait, les hommes fourbus commençaient à ramasser la paille tombée et à ranger les outils. Des tables avaient été dressées par les femmes dans la cour de la ferme et le ‘’repas de batteuses’’ pouvait commencer. Il était toujours copieusement arrosé de ‘’piquette’’, le gros rouge du Cantal.

Le souper emplissait les estomacs et redonnait vigueur à tous. Vers minuit, les chansons paillardes commençaient à vibrer dans l’air chaud des nuits d’août, un accordéon ou une cabrette faisaient entendre leur chant et les danses s’enchaînaient dans la nuit jusqu’au matin.

"La bourrée en Auvergne,  la bourrée y va bien
Nous la dansons à quatre
Quatre jeunes et beaux pâtres
Nous la dansons à quatre
Autour d'un musicien "

 Les garçons entraînaient les filles vers les granges ou les meules… Dans neuf mois il y aurait de nouveaux petits auvergnats et de beaux mariages… qui seraient l’occasion de grandes fêtes où les garçons entraîneraient les filles…

Voilà un témoignage très détaillé de la vie dans le Cantal autrefois avec de nombreux détails !! Merci à Gilles DEKETELAERE pour le partage.

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