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le Cantal au fil du temps

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Généalogie et histoire locale


Le boulanger de Polminhac - article de Jean Gilbert VAURS

Publié par Françoise PICOT sur 22 Avril 2022, 09:26am

Catégories : #Histoire locale - Tranches de vie

MON GRAND PÈRE

À 92 ans il est grand temps de raconter l’histoire de mon pépé Gilbert, de son vrai nom : Jean Gilbert VAURS.

Il est né le 27 août 1869, à Lamothe commune de Miers département du Lot. Ses parents étaient agriculteurs.
Tout jeune, il a gardé les moutons près du gouffre de Padirac. Il arrivait , disait il, que des bêtes tombaient dans le trou qu’il appelait « le trou du Diable ».

Il apprend le métier de boulanger à Miers qui était alors une ville d’eau réputée pour ses vertus diurétiques, laxatives et purgatives.
Il a travaillé ensuite comme mitron à Saint Céré, pas bien loin de chez lui, à 19 km, puis dans deux boulangeries d’Aurillac. Il est enfin embauché comme ouvrier boulanger à Polminhac chez Nicolas Fétou qui fut même son témoin de mariage le 20/07/1898.

Cette boulangerie se trouvait au Ganel, juste en face le lavoir couvert et sa source à l’entrée du village en venant d’Aurillac. La route à traverser ! le rêve pour une boulangerie, car pour faire du pain, il faut de la farine, du levain, un peu de sel mais beaucoup d’eau, et avec de la bonne eau, le pain est encore meilleur !
C’est là que mon pépé à connu ma mémé Jeanne RAMOND, née à Polminhac en 1875 et lingère de son métier.
Il est resté longtemps employé chez Fétou, puisque la boulangerie Vaurs n’a ouvert qu’en 1911 (je crois). Leurs 3 enfants, dont mon père, avaient respectivement. : Marie 10 ans, jean 8 ans et Louise 4 ans. (Étonnant : toute leurs vies ils ont vouvoyé leur père) . Mon grand père voyait très peu ses enfants car la nuit il travaillait et le jour, il dormait.
Puis, il y a eu la guerre de 14-18 et malgré ses 41 ans et ses 3 enfants il a été mobilisé puis prisonnier de guerre.

C’est donc autour de 1910 que mes grands parents ont fait construire la boulangerie. Pourquoi en plein bourg ? je ne sais pas .
Par contre, l’eau n’était pas à proximité comme chez Faitou (qui lui avait fermé boutique). Bien sûr il y avait le ruisseau à côté du fournil qui était au rez de chaussé de la maison côté opposé à la boutique en bas de la terrasse de la maison et du «courrédou», mais il était pollué même à cette époque. Il servait un peu d’égout.
Comme l’eau du ruisseau était polluée, jusqu’à son retour de captivité, il allait chercher l’eau à la fontaine de la place de l'église dans la nuit avec une charrette à bras chargée de bidons où il s’attelait, guidé par un petit chien qu’il avait dressé à porter une lanterne et qui s’appelait Turcou.

Ma grand mère tenait la boutique. C’est elle par contre qui faisait la tarte de Vic appelée aussi «tarte à la tome», les cornets de Murat roulés dans une grande planche à trous, les choux à la crème et les éclairs au chocolat. J’adorais les éclairs au chocolat !

Mon grand père était un taiseux, et je l’ai peu connu. Il aimait bien rigoler. Je l’ai connu lorsqu'il ne travaillait plus . Avec mes cousines il nous apprenait à danser la bourrée avec son harmonica Hohner qu’il avait ramené de captivité.
Mais je tiens toute son histoire par ma grand mère, la mémé Jeanne qui est décédée le 29 septembre 1946. Lui est décédé en 1938 , je n’avais que 9 ans.

Un autre souvenir : ma mémé mettait toujours un couvert de plus au moment du casse-croûte de la matinée. Pépé y tenait, c’était la place du «pauvre». J’y ai vu des colporteurs , des vitriers, des pillarots, qui racontaient leurs voyages, un vrai régal.
Le boucher aussi venait toutes les semaines porter son énorme marmite de tripoux à faire cuire dans le four après les fournées. Je crois qu’elle y restait jusqu’à la fournée du lendemain. La facture, c’était un ou deux tripoux !
D’autres habitants portaient à cuire un gros canard, une oie, un gâteau…. en paiement, la pièce au mitron.

Pendant très longtemps les paysans de la commune portaient un jour bien déterminé et ensemble leurs énormes tourtes faites par eux mêmes à cuire dans le four du boulanger.
D’où venait cette coutume ? Elle date du retour de captivité de 1918 .
Mais ce n’était pas facile, Ils y avait bien une dizaine de tourtes qui levaient par terre dans le fournil et il ne fallait pas se tromper de panneton à la sortie du four car le propriétaire mettait un signe de reconnaissance de sa pâte : un gland, une coquille de noix, etc. En plus, certains ne levaient pas assez vite, d’autres débordaient ou collaient au grand torchon . La pâte débordait de la grosse pelle ronde.
Mais c’était leur pain, leur farine, ce n’était pas le pain du boulanger !

Attenant à la terrasse de notre maison, se trouvait la maison et l’atelier du forgeron : la famille Fel père et fils, des amis de la famille Vaurs.
J’ai bien connu le fils, l’Antonin, qui ferrait les chevaux, et les vaches qui tractaient les chars de foins.
Il ferrait aussi les roues de charrettes et de brouettes aidé par le charron et les amis. Ce travail durait toute la journée. Les cerclages fabriqués aux bonnes dimensions par l’Antonin étaient entassés autour d’un grand feu de bois pour être dilatées et serties sur leurs cercles tout rouges, à coups de marteaux et arrosés pour finir. Un vrai travail d'équipe qui me fascinait !

Je me souviens encore de la joie et de la fierté que j’avais à 10 ans quand l’Antonin m’autorisait à tirer sur la chaîne de l'énorme soufflet de forge, de l’odeur et du bruit du gros marteau sur le fer rouge et du bruit plus clair sur rebond du marteau. Un carillon… oui, une musique.

Près du ruisseau se tient encore le travail de ferrage avec ses sangles de cuir et entouré de pots de fleurs.

C’est sans doute pour cette raison que j’ai passé plus de 35 ans dans la métallurgie !

La boulangerie, dans mes souvenirs.

Je n'ai jamais connu la boutique de mes grands parents avec les intitulés figurant sur la photo .
Il n'y avait plus de «VAURS-GILBERT» en gros titres, ni de graines, ni de son, pas non plus de pain de cocotier. À la place dans les panneaux inférieurs d'un côté, deux publicités en tôle émaillée : chocolats Nestlé et Peter et de l'autre côté : chocolats Cailler et Kohler.
Par contre le rideau de fermeture en tôle ondulée était le même. Je l'ai levé et fermé bien souvent avec le crochet .
La vitrine également était identique.

À l'intérieur à droite un vieux petit meuble en bois assez haut : le tiroir caisse. Quand on l'ouvrait, ça tintait !Plus loin le présentoir à pains en fer avec des séparations.
En haut, les pains d'une livre et de 4 livres, en bas,les tourtes de seigle alignées debout par grosseur.
En face dans le plancher une trappe à deux battants, une grosse poulie et une grosse corde permettait de monter les panières de pains du fournil. J'adorais grimper à la corde jusqu'au plafond pour atteindre les grosses boites en fer blanc qui contenaient les sucettes et les bonbons Pierrot Gourmand.

À côté c'était la cuisine avec son cantou, sa grosse et grande table, ses 2 gros tiroirs pour coincer la tourte et couper facilement les tartines.
Au mur, face au magasin, la série de grosses casseroles et de bassines en cuivre rouge, étamées à l'intérieur, pour la pâtisserie de la mémé. Il fallait les astiquer chaque semaine. c'était beau ! ça brillait et reflétait leur couleur rouge.

Le fournil de mon grand père puis de mon oncle Brayat était composé de deux pièces bien distinctes.
La pièce du four qui était chauffée ou au bois ( foyer sous le four) ou au genêts secs mis à l'intérieur du four. Dans les 2 cas, le four était nettoyé avec l'écouvillon, une longue perche au bout duquel était fixée une grande serpillière mouillée qui permettait de nettoyer le four et ôter les braises et brindilles brûlées.
Après son retour de captivité, il avait équipé le four du chauffage avec un brûleur au fioul, mais j'ai toujours vu faire la première fournée au bois et la cuisson des tourtes de pains bis (pain de seigle mélangé de farine de froment) au genêts.
Le restant de cette grande pièce servait au stockage des balles de farine de 100 kilos et à faire lever les pannetons de tourtes qui étaient posées à même le sol. Les tourtes étaient de différentes grandeurs, de très grandes de 50 cm de diamètre, mais aussi des moyennes et des petites.
Les pains eux levaient dans une espèce d'armoire sur une toile pliée en accordéon elle même posée sur une grande planche.

Mais derrière le four il y avait une autre pièce, bien plus petite, que l'on appelait le "pétrin".  Quand j’étais enfant, il y avait un gros pétrin électrique avec son bras en forme de fourche à deux grosses dents qui malaxait la pâte avant de la transvaser dans la maie où elle levait en faisant des bulles qui éclataient. Et pourtant il n'y avait pas de levure !  c'était grâce au levain, (un bout de pâte de la veille) qui était incorporé dans le pétrin.
Mais avant 1918 tout était pétri à la main par mon pépé Gilbert .
Pendant la guerre de 1914, c'était ma grand mère qui pétrissait à la force de ses bras, aidé par le mitron.

Le pain de cocotier, Je ne l'ai jamais vu faire ni le vendre.
Je n'ai vu que les restes et ce que m'en a dit mémé Jeanne.
Le sac de farine de cocotier se trouvait à côté du gros pétrin électrique. Je me souviens du mot «Marseille» sur le sac, et  à côté une grosse boîte en fer avec les restants du pain de coco, tout blanc, tout sec et dur comme de la pierre.
 

«C'est quoi mémé ? C'est du pain de coco! C'est bon»?  
 «t'es fou, c'est pour les bêtes !

Il faisait je crois, une pâte légèrement cuite dans des panetons. Cette pâte sèche et dure, très blanche, était cassée au marteau et vendue au kilo pour les bêtes malingres.
Je pense que ce pain de cocotier remplaçait le tourteau actuel.

A l'école il était interdit de parler patois, mais à la boulangerie toutes les conversations avaient lieu en patois.

Merci à Monsieur VAURS qui a regroupé tous ses souvenirs (lointains) qui nous permettent d'avoir une vision de la vie quotidienne dans le bourg de Polminhac au début du XXème siècle.

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