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le Cantal au fil du temps

le Cantal au fil du temps

Généalogie et histoire locale


Les voyages "Paris-Cantal" - souvenirs d'enfance de Gilles DEKETELAERE

Publié par Françoise PICOT sur 22 Avril 2022, 10:00am

Catégories : #Histoire locale - Tranches de vie

Souvenirs, souvenirs, ré, mi, do, fa…

Le chant du départ

PARIS - SAINT-FLOUR - CHAUDES AIGUES - Besse de St MARTIAL

Dans mes souvenirs, il en est qui sont restés particulièrement prégnants : les voyages en Auvergne en font partie.
Nous arrivions, ma grand-mère et moi, le soir vers 19h. à la gare d’Austerlitz accompagnés par mon père en voiture. Il portait nos valises -une sur chaque épaule- jusqu’au compartiment que nous allions partager avec six autres passagers. L’hiver, les wagons étaient glaciaux ; l’été, ils avaient été chauffés par le soleil durant toute la journée sur les voies de garage et, le soir venu, ils étaient plus proches d’une rôtissoire que d’un moyen de transport.

Pour les moins de vingt ans (qui ne peuvent pas connaître), les wagons de l’époque étaient vert sombre, ils étaient parcourus d’un bout à l’autre, sur le côté, d’un couloir qui distribuait des sortes de loges comme au théâtre. Chaque compartiment comportait deux banquettes destinées à accueillir le fessier de huit passagers. En hauteur, de chaque côté, des filets recevaient les bagages. Entre banquette et filet, à mi-hauteur, une photographie noir et blanc ou colorisée représentait les régions ou les villes desservies par le train. J’ai souvenir d’une de ces images en particulier, celle du viaduc de Garabit qui permettait le passage du Paris-Béziers à 120 mètres au dessus de la Truyère ; descendant du train à Saint Flour, je n’ai jamais franchi ce superbe pont construit par Eiffel et j’en pour toujours le regret : il est maintenant fermé à la circulation des trains. Côté couloir, des vitres qui, pour la nuit, pouvaient être occultées par des rideaux beiges, brocardés du sigle « SNCF » en relief. C’est donc à huit que s’engageait l’aventure du voyage en train, huit passagers dont nous allions partager la vie durant une douzaine d’heures, partager leurs conversations, leurs odeurs, leurs ronflements…

Juste avant le départ, des employés une longue burette à la main courraient le long des voitures : une goutte d’huile à tel essieu à droite, un raccord vérifié à gauche. L’homme à la casquette blanche et au drapeau rouge, un sifflet entre les dents, s’agitait frénétiquement sur le quai…
Sifflets, cris, agitation, le départ était imminent. Puis il y avait le puissant chuintement d’un grand jet de vapeur et le convoi se mettait enfin en route. Ce long sifflement était pour moi le signal du début d’une grande aventure digne de Jules Vernes.

Tout d’abord, le train avançait si lentement que des gens courraient à ses côtés en faisant de grands signes aux voyageurs en partance. Peu à peu, le bruit des jets de vapeur de la locomotive s’accélérait et le cliquetis des roues sur les rails devenait le bruit dominant tous les autres : il serait celui qui nous accompagnerait toute la nuit. Monté sur une petite bordure du compartiment, j’essayais d’atteindre, sans y parvenir, la vitre à glissières ouverte sur les banlieues qui défilaient. Très rapidement, la fumée entrait dans le compartiment et provoquait les protestations des autres voyageurs. Devant leurs airs courroucés, ma grand-mère fermait la fenêtre : le voyage avait commencé.
N’ayant plus le parfum enfumé de l’aventure pour accaparer mon esprit, je déclarais : "j’ai faim". Ma grand-mère sortait alors de son cabas un immense torchon blanc qu’elle étalait sur nos genoux pour servir de nappe. L’odeur (le parfum ?) des cochonnailles envahissait le compartiment, asticotant les estomacs. Les charcuteries de ma grand-mère avaient toujours les plus hautes origines : la ferme de Chanteloube ou celle de Cromière, parfois la charcuterie Vialard, sur la place du marché de Chaudes-Aigues. C’est dire la noblesse de ces produits. Chacun sa chopine : Beaujolais pour ma grand-mère, limonade pour moi. Le festin pouvait commencer. Et il devait durer… jusqu’à ce que je tombe de sommeil, vaincu par l’émotion de l’aventure et, il faut bien le dire, par une panse trop pleine.

Tchac-tchac, tchac-tchac, la nuit passait bercée par le bruit des rails. Au petit matin, le train ralentissait à l’entrée de Clermont-Ferrand. Le plus souvent c’était le crissement des freins qui m’éveillait. La thermos de café au lait sortait du cabas accompagnée de grandes tartines de ce pain que les parisiens appellent la "baguette". N’ayant aucun souvenir d’un autre arrêt, je pense aujourd’hui que durant cette escale assez longue nous "faisions de l’eau".
Beaucoup de passagers descendaient pour se dégourdir les jambes… Pas nous ! Selon ma grand-mère, nous eussions pu rater le redémarrage du train. Je supportais assez bien cette contrainte car les montagnes n’étaient plus loin et la vraie aventure allait commencer.

Dès la sortie de Clermont Ferrand, nous allions pénétrer l’inquiétante jungle des gorges des rivières sauvages, escalader les montagnes, franchir des cols pour arriver au poste-frontière du vrai pays de l’aventure : Saint-Flour.
Dans les années cinquante, descendre du train de Paris à sept-huit heures du matin dans la gare de Saint-Flour, était presque aussi dépaysant qu’un débarquement à Buenos-Aires.
Les hommes portaient tous ou presque la "biaude", sorte de blouse sombre et un grand chapeau noir. La plupart des femmes étaient, comme ma grand-mère, tout de noir vêtues, elles portaient un chignon sur le dessus de la tête quand celle-ci n’était pas couverte d’un chapeau de paille noir. Bref, elles faisaient penser à des babouchkas en grand deuil.
Dans les rues on trouvait autant de charrettes tirées par des vaches ou des bœufs que d’automobiles ou de camions. On voyait aussi quelques calèches tirées par des chevaux légers, ce qui était un signe extérieur de richesse : les chevaux, même de trait, étaient incapables de travailler dans nos montagnes trop pentues, ils étaient donc réservés au transport des personnes et seuls les plus aisés pouvaient s’offrir un tel luxe.

La gare de Saint-Flour, c’était le point de départ d’une aventure autrement plus audacieuse que le train : l’autocar Citroën. Vous en avez déjà vu dans les films d’époque : jaune paille et marron ou bleu ciel et bleu foncé mais ce qui pour moi caractérisait ces autocars, c’était leurs attaches de capots en cuir. Dans mon esprit d’enfant, ces lanières tenaient tout l’avant de l’autocar et j’étais persuadé qu’en cas de rupture de ces sangles, c’était tout l’avant de l’autocar qui s’effondrerait.

Ces angoisses ne pouvaient qu’être renforcées par une conjugaison mathématique : vitesse multipliée par route défoncée, plus suspension à lames de ressort… Le résultat faisait du passager une sorte de balle folle dans un tambour d’essoreuse. J’ai toujours en mémoire les cris d’effroi des paysannes enchapeautées dans la vertigineuse descente de « l’Anau » qui avait pour caractéristique d’avoir un goudron arraché par plaques à de nombreux endroits et d’être à voie unique, ce qui était la source de frayeurs supplémentaires lorsque le car devait reculer vers un passage permettant de croiser un autre véhicule. De dérapages en coups de freins, d’arrêts pour prendre ou laisser des passagers, de manigances pour dépasser une charrette en manœuvres en marche-arrière pour prendre une épingle à cheveux, près de trois heures étaient nécessaires pour effectuer les trente kilomètres.

L’apparition de l’autocar à Chaudes-Aigues était un événement pour cette petite bourgade. Par exemple, les journaux étaient apportés par le car ce qui donnait une importance particulière à son arrivée. Peu d’auvergnats de l’époque étaient sortis de leur canton ; les voyageurs, surtout ceux en provenance de la capitale, faisaient figure d’étrangers arrivant de contrées lointaines. Quelques cas parmi les ‘’parisiens’’ recevaient une attention particulière : les ‘’Auvergnats de Paris’’, sorte de confrérie avec sa langue, ses coutumes, son journal (l’Auvergnat de Paris), ses réseaux de relations et même ses trains low costs avant l’heure, les ‘’Trains Bonnet’’.

 Dès l’arrêt, deux ou trois costauds montaient sur la galerie pour décharger aussi bien sacs de patates que valises, malles ou bicyclettes. La place de la fontaine était envahie par une joyeuse pagaille de charrettes, de camions ou d’autos. Les embrassades allaient bon train, chacun retrouvant famille ou amis venus chercher les passagers pour les emmener dans les villages des environs.

L’oncle Antonin, sage parmi les sages, avait rangé sa paire de bœuf de l’autre côté du Remontalou, devant l’hospice des vieux et attendait avec philosophie que tous les agités se fussent écartés pour nous aider à porter nos valises vers sa charrette.
Un personnage que l’oncle Antonin : frère de ma grand-mère, plus d’un mètre quatre-vingts, une carrure de bonnetière auvergnate, une paire de moustaches qu’il était capable d’accrocher derrière ses oreilles… Mais l’oncle Antonin, c’était surtout un sourire qui s’étendait sur ses deux joues et des éclats de rire à faire trembler les montagnes. 
L’oncle Antonin était mon idole, je lui vouais une admiration totale, sans limite, irraisonnée et aussi irraisonnable qu’était le personnage. Ce colosse était capable de tout, ses blagues n’avaient aucune limite, il n’avait peur de rien ni de personne. Je l’ai vu mettre un jeune taureau à genoux en lui pinçant les naseaux d’une main et en lui tordant la tête en le tenant par une corne. Il paraît que c’est facile quand on a la technique. Regardez la tête d’un taureau d’Aubrac et imaginez la chose… C’est l’oncle Antonin qui m’a appris à faire des sifflets ou des flûtes dans un rameau de noisetier. C’est lui qui, les soirs d’orage, m’emmenait sur les flancs des montagnes de Besse pour regarder le spectacle qu’ils offraient, en dessous de nous, dans la vallée. Les éclairs zébraient les nuages et les parcouraient avant de descendre au sol du fond du ravin. Le cul dans l’herbe, nous étions au comme au cinéma mais en super grand écran ciné-panorama comme on n’en n’a pas encore inventé. Il commentait : ‘’Regarde, celle-là elle est tombée sur la devèze de Condroux ; ho, celle-ci va faire du bruit, c’est une grosse, elle est pour Chanteloube, le père Henri va serrer les fesses... Avec lui, l’orage devenait le feu d’artifice du 14 juillet, le tonnerre était dirigé par Jean-Michel Jarre et les éclairages étaient dirigés par Zeus en personne. Pas étonnant qu’encore aujourd’hui j’adore l’orage.  À 74 ans, il fut renvoyé de l’hospice de Chaudes-Aigues pour avoir peloté, sans vergogne, le saint fessier d’une bonne sœur…
À sa table, on mangeait des écureuils qu’il abattait en plein vol entre deux arbres avec son bâton. À l’époque on était moins écolo qu’aujourd’hui et il n’y avait pas d’espèces protégées : les buses étaient des "nuisibles" qui volaient les poules et on les tirait au fusil. L’oncle, qui se promenait toujours avec son "Manufrance" à l’épaule était une fine gâchette ; il était rare qu’il ratât un rapace. À lui seul, il a du mettre l’espèce en voie d’extinction. Ce coup de fusil était pour moi l’objet de fierté : comme dans un western, mon oncle était le meilleur tireur au sud de la Truyère. Bref, pour moi, si l’oncle Antonin n’était Dieu le père, c’était au moins un de ses adjoints directs.

Pour faire les 6 kilomètres pour monter à Besse, il nous fallait plus de deux heures. Ma grand-mère était assise sur le banc de la charrette parmi un bazar hétéroclite qu’Antonin, profitant de sa visite à la ville, avait acheté à Chaudes-Aigues. L’oncle et moi guidions les bovins en devisant des nouveautés de la ferme et du pays. Ces bœufs étaient attelés par un joug de bois clair fixé à leurs cornes par une longue tresse de "nerf de bœuf" blanc-verdâtre qui dégageait une odeur forte dont j’ai gardé le souvenir. En quelque sorte, ils avaient sur la tête ce qu’ils avaient eu entre les pattes arrières avant leur "opération"…
Ils étaient paisibles et dociles : je les rangeais côte à côte et l’oncle leur plaçait le lourd joug de bois qu’ils acceptaient sans rechigner. Pour les guider, j’avais une longue pique de noisetier garnie d’un clou comme pointe : je n’ai pas mémoire de m’en être servi une seule fois. J’étais très fier quand, devant la faucheuse-lieuse, je les guidais au centimètre près : je faisais 50 cm à gauche, ils faisaient 50 cm à gauche. Même chose à droite… À les voir aussi obéissants, j’avais l’impression d’être aussi puissant que mon oncle : pensez, c’est moi qui dirigeais ces mastodontes !!! J’aurais dû être un peu moins fier et me rappeler que, quand ils me léchaient les fesses, ils me soulevaient à 50 cm du sol du bout de leur langue râpeuse …

Arrivée à Besse de Saint-Martial
À l’arrivée à Besse, se jouait une pièce selon la parabole de la bible : le retour du fils prodigue. Antonin et Maria, ma tante, n’avaient pas eu d’enfants et ce rôle de fils, ils me l’avaient attribué une fois pour toutes. Quand j’arrivais, je n’étais pas en visite : j’étais de retour. Point final et non discutable.

Pour fêter ce retour, ma tante avait cuit dans le four du hameau, MON pain, c'est-à-dire un pain rond à ma taille : 40cm de diamètre au lieu des 85 cm du pain habituellement sur la table. Le Bleu d’Auvergne attendait dans le garde-manger et mon Laguiole était dans le tiroir. Le dessert était immuablement une ‘’Pachade’’, sorte de flanc aux œufs.

 

Merci à Gilles DEKETELAERE pour ce témoignage.
On s'y croirait !!

 

 

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